Temps de travail des fonctionnaires : le rapport édifiant de l’IGF
En février dernier, l’Inspection Générale des Finances remettait à Gérald Darmanin, ministre des comptes publics, un rapport intitulé « Régimes dérogatoires aux 35 heures dans la fonction publique d’Etat ». L'AIBT s’est procuré ce rapport et vous le met à disposition. Il passe en revue, de façon quasi exhaustive, l’ensemble des dérogations accordées aux personnels civils, hors enseignants et magistrats, de la fonction publique d’Etat. Sur les 1,1 millions d’agents visés, près d’un tiers ne travaillent pas 35 heures…
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Ce rapport de 166 pages procède à un état des lieux des régimes dérogatoires à la durée légale de travail de 1 607 heures par an pour la fonction publique de l’État tels qu’ils sont prévus par les textes et analyse.
Il est à préciser que la mission s’est attachée à apprécier les régimes de temps de travail sans étendre ses analyses aux autres modalités de la politique de ressources humaines de l’État, s’agissant en particulier des régimes indemnitaires.
La mission a conduit ses travaux entre la deuxième quinzaine du mois de novembre 2018 et janvier 2019. Elle a rencontré l’ensemble des ministères, les services de la Présidence de la République et du Premier ministre ainsi que les grands corps de l’État, une quinzaine d’établissements publics sous tutelle et trois autorités indépendantes. Compte tenu des délais impartis, tous les éléments figurant dans le rapport n’ont pas pu donner lieu à une vérification contradictoire.
1,1 million d’agents ont été inclus dans le champ de l’étude, soit la totalité des personnels civils de l’État, à l’exclusion des enseignants, les magistrats, les porteurs d’uniformes dont les militaires et les gendarmes ainsi que 300 000 agents exerçant leurs fonctions dans les établissements publics sous tutelle.
Sur ce total, 310 000 agents au moins travaillent moins de 1 607 heures par an, constat qui a mis en exergue plusieurs cas d’incohérence et de régimes dépourvus de justifications. Sauf cas exceptionnels, les situations actuelles n’ont pas de raisons de perdurer et impliquent qu’il y soit mis fin, au besoin en procédant à des comparaisons entre fonctions similaires (missions régaliennes et fonctions support notamment) :
- près de 120 000 agents de l’État bénéficient de compensations horaires liées à des sujétions inhérentes à l’exercice de leurs fonctions et travaillent en moyenne 1 538 heures par an : c’est notamment le cas des personnels porteurs d’uniformes dont les régimes sont construits sur des logiques qui leur sont propres, sans démarche comparative, et pour des durées annuelles de travail différentes ; d’autres personnels bénéficient aussi de compensations liées à la pénibilité de leurs fonctions, en particulier les contrôleurs aériens et les personnels d’inspection vétérinaire en abattoirs ; par ailleurs, les agents d’accueil et de délivrance des titres dans les préfectures et sous-préfectures ainsi que les fonctions supports du ministère de l’intérieur sont soumis à des régimes dérogatoires favorables ;
- au moins 190 000 agents bénéficient de régimes de travail plus favorables que la règle des 1 607 heures et travaillent ainsi en moyenne 1 555 heures par an, principalement par un effet d’imitation et dans une moindre mesure du fait de la survivance de dispositifs historiques qui apparaissent injustifiés : les premiers bénéficiaires en sont les agents administratifs, techniques et auxiliaires des établissements d’enseignement et services déconcentrés des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, des établissements pénitentiaires et centres de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que les électroniciens de l’aviation civile ; des dispositifs historiques injustifiés ont également été maintenus lors du passage aux 35 heures, notamment au ministère des armées où près de 30 000 personnels civils et ouvriers d’État ont droit à des jours de congés pour ancienneté qui s’ajoutent à leurs jours de congés annuels et de RTT.
Par ailleurs, une très forte hétérogénéité existe entre ministères, opérateurs et même parfois directions d’un même ministère s’agissant tant des modalités de compensation des heures supplémentaires, sujétions ponctuelles, astreintes et temps de déplacements professionnels, que du périmètre des agents bénéficiant du forfait-jours et des pratiques de badgeage, en particulier dans un contexte de montée en puissance du télétravail.
Au-delà de la possibilité, voire de la nécessité, de remettre en cause la quasi-totalité des régimes dérogatoires actuels, la mission considère que son constat reflète l’absence de véritable politique de l’État s’agissant des régimes horaires de travail applicables en dépit d’un encadrement réglementaire dont les ministères chargés du budget et de la fonction sont les contresignataires.
La nécessité d’adopter une démarche de comparaison des régimes horaires et temps de travail apparaît ainsi nécessaire et gagnerait à faire l’objet d’une forme institutionnalisée comme ce fut le cas lors de la mise en œuvre des 35 heures au sein de l’État.
Le détail des propositions du rapport pour supprimer ou amender certaines dérogations
Proposition n° 1 : Conduire des expertises complémentaires afin de comparer les temps d’habillage et de déshabillage inclus dans le temps de travail effectif des personnels d’inspection vétérinaire en abattoirs et des salariés des entreprises gérant ces abattoirs.
Proposition n° 2 : Conduire des expertises complémentaires pour apprécier l’impact horaire précis des méthodes de travail différenciées s’agissant de l’inspection vétérinaire en abattoirs de boucherie et de volailles.
Proposition n° 3 : Après avoir vérifié le contenu précis et les justifications des 150 heures de formations et de réunions des agents du Centre de crise du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, aligner le régime de travail des agents concernés sur le régime du COGIC en prévoyant une autre organisation de travail ou, a minima, sur les régimes applicables aux autres fonctions régaliennes assurant une couverture en continu 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Proposition n° 4 : Supprimer le système d’allocation forfaitaire de huit de jours de repos compensateur au bénéfice des surveillants exemptés de dérogation générale à la durée annuelle de travail effectif et le remplacer par un système d’attribution proportionnelle au nombre de jours de suppléance effectivement réalisés.
Proposition n° 5 : Aligner le régime de travail applicable aux travailleurs sociaux des services pénitentiaires d’insertion et de probation avec celui des surveillants en régime de détention égal à 1 582 heures par an afin de tenir compte de sujétions comparables. Proposition n° 6 : Réaliser un bilan coûts-avantages dans les ministères ayant procédé à une externalisation des fonctions support en administration centrale et établir un cahier des charges sur cette base facilitant l’externalisation. À défaut, mettre un terme aux régimes de travail aboutissant à la durée annuelle inférieure à 1 607 heures pour les fonctions support pour lesquelles les justifications seraient inexistantes.
Proposition n° 7 : Mettre fin au régime dérogatoire de durée annuelle du travail de 1 572 heures des agents des préfectures et sous-préfectures affectés à l’accueil du public et à la délivrance de titre et adapter en conséquence le schéma d’emplois pour couvrir la charge d’activité prévue découlant des réorganisations mises en place.
Proposition n° 8 : Procéder à une revue des régimes de travail des agents chargés de l’accueil dans l’ensemble des services territoriaux de l’État et mettre fin, le cas échéant, aux régimes dérogatoires à la durée annuelle de 1 607 heures qui seraient identifiés.
Proposition n° 9 : Sur la base des missions exercées et des compensations mises en place, établir des comparaisons de durée annuelle de travail effectif entre les unités des compagnies républicaines de sécurité (CRS), les pelotons de gendarmerie mobile et les compagnies de sécurisation et d’intervention de la préfecture de police de Paris.
Proposition n° 10 : Dans le cadre du nouveau régime de temps de travail en cours de mise en œuvre, établir un outil de suivi du temps de travail commun à l’ensemble des personnels navigants du GHSC et du GASC.
Proposition n° 11 : Sur la base des temps de temps de travail constatés entre agents d’un même site et exerçant les mêmes fonctions, réorganiser le service pour garantir une adéquation entre les ressources humaines et matérielles et les besoins en termes de couverture des événements de sécurité civile et assurer un suivi fin du temps de travail des agents chargés de fonction d’encadrement.
Proposition n° 12 : Conduire une analyse complémentaire des sujétions supportées et des compensations obtenues en contrepartie par les agents de la branche surveillance de la direction générale des douanes et des droits indirects, par les personnels actifs de la direction générale de la police nationale en régime cyclique, par les personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile et par les personnels sous statut militaire afin d’optimiser les durées annuelles de travail effectives et d’assurer une cohérence entre les différents régimes.
Proposition n° 13 : Redéfinir les obligations de service des conseillers d’éducation prioritaire afin de garantir une durée hebdomadaire de travail conforme à la référence de 1 607 heures annuelles. À défaut, étendre les périodes de service de « petites vacances » pour permettre la réalisation des tâches administratives et de suivi plus complexes à mettre en œuvre lors de la présence des élèves.
Proposition n° 14 : Sur la base des temps de déplacement réels liés à la couverture géographique des établissements par les psychologues de l’éducation nationale, étendre le nombre d’établissements couverts dans les zones où la proportion d’élèves nécessitant un suivi est plus faible que la moyenne ; a contrario prévoir un temps de présence effective plus important dans les établissements des zones où la proportion d’élèves nécessitant un suivi est plus forte que la moyenne.
Proposition n° 15 : Supprimer l’octroi de 14 heures forfaitaires pour les personnels de la filière administrative et autoriser la prise de congés en dehors des plages fixes prévues par le calendrier scolaire et universitaire.
Proposition n° 16 : Pour l’ensemble des agents des filières BIATSS en services déconcentrés et en établissements d’enseignement, comptabiliser les jours de repos générés par la comptabilisation de jours fériés dans le temps de travail effectif dans l’ensemble des 45 jours de congés annuels des agents.
Proposition n° 17 : Aligner le régime de congés des personnels non-enseignants des écoles relevant du ministère de la culture sur celui des personnels BIATSS des services déconcentrés et établissements relevant des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche via la mise en place d’un système de « petites vacances » égal à deux semaines travaillées supplémentaires.
Proposition n° 18 : Pour les agents chargés de fonctions administratives et techniques affectés dans les établissements pénitentiaires et directions territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse, mettre fin au système d’attribution forfaitaire de cinq jours de repos compensateur par an et prévoir une attribution de jours de repos compensateurs, dans la limite de cinq par an, conditionnée à la réalisation effective de dépassements réguliers des horaires de travail suivis par un dispositif d’enregistrement automatisé.
Proposition n° 19 : Aligner le régime de travail des électroniciens et techniciens de premier niveau sur le régime de droit commun de 1 607 heures.
Proposition n° 20 : Sous réserve d’une analyse juridique rendant impossible une différenciation entre les différentes fonctions publiques et avec le secteur privé, mettre fin au dispositif des jours de fractionnement pour les fonctionnaires de l’État.
Proposition n° 21 : Pour les agents titulaires et contractuels hors ouvriers d’État du ministère des armées, fermer le bénéfice du dispositif des jours de congés liés à l’ancienneté pour les nouveaux arrivants et assurer l’apurement des jours prévus pour les agents en bénéficiant déjà par imputation sur les jours de RTT auxquels ils ont droit.
Proposition n° 22 : Dans les ministères et opérateurs prévoyant un nombre de jours de congés supérieur à celui prévu par l’article 1er du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984, supprimer les jours en excès et recalculer les droits à jours de récupération du temps de travail pour les agents dont le cycle de travail excède 35 heures hebdomadaires.
Proposition n° 23 : Établir un document de référence unique des autorisations spéciales d’absence et charger la direction générale de l’administration et de la fonction publique d’en assurer le suivi et la mise à jour. Proposition n° 24 : Réviser les coefficients de majoration des compensations octroyées au titre des heures supplémentaires réalisées en se fixant comme objectif de traiter toutes les situations sur la base des minima existants.
Proposition n° 25 : Réviser les coefficients de majoration des compensations octroyées au titre des sujétions en distinguant chaque situation, en se fixant comme objectif de traiter toutes les situations sur la base des minima existants.
Proposition n° 26 : Établir un barème commun interministériel pour la compensation horaire ou l’indemnisation des périodes d’astreinte au sein de la fonction publique de l’État.
Proposition n° 27 : Évaluer la faisabilité juridique et technique d’un barème commun interministériel pour la compensation horaire ou l’indemnisation des interventions conduites sous astreinte au sein de la fonction publique de l’État.
Proposition n° 28 : Établir un barème commun interministériel pour la comptabilisation et la compensation des temps de déplacements professionnels réalisés au sein de la fonction publique de l’État en tenant compte des fonctions exercées, du nombre d’occurrences dans l’année et des situations particulières qui seraient identifiées.
Proposition n° 29 : Assurer une revue des fonctions bénéficiant du régime du forfait-jours, actualiser les arrêtés en conséquence et définir des lignes directrices communes pour la délimitation du périmètre des agents en bénéficiant en tenant compte des fonctions exercées et des situations particulières qui seraient identifiées.
Proposition n° 30 : Exploiter les données référencées dans l’application TEMPO du CNRS pour rapprocher les publications et productions des chercheurs avec les moyens financiers et le temps de travail qui y sont consacrés.
Proposition n° 31 : Prévoir le déploiement d’un outil comparable à TEMPO au sein de l’ensemble des organismes de recherche.
Proposition n° 32 : Réaliser une revue de l’ensemble des dispositifs d’horaires variables dans les services de l’État et établissements publics sous tutelle et évaluer la robustesse des dispositifs de contrôle en place.
Proposition n° 33 : Prévoir un calendrier resserré de transition des ministères utilisant le logiciel HR Access (ministère des armées pour les personnels civils, ministères économiques et financiers, ministère de l’intérieur) et du ministère de l’éducation nationale vers le SIRH interministériel RenoiRH.
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